L'air d'un souvenir | PV : Serafina Guerrera

L’époque où je venais ici comme simple visiteuse me semble bien loin. Appartenant même à une autre vie. Et pourtant, je suis bien là à présent en tant qu’élève errant dans ces couloirs comme James a pu le faire de son vivant. J’essaie de retrouver sa trace, de caler mes pas aux siens, mais cela fait trop longtemps maintenant. Son parfum a disparu et a été remplacé par des centaines d’autres. Je vais là où certainement Thélio a été autant que Lisandre. J’ai entre ces murs, qu’un déluge de souvenirs me rappelant des bonheurs éphémères et des douleurs qui ne disparaîtront certainement jamais véritablement. Je ne peux pas me battre contre l’affluence de ces images appartenant à la Deana d’autrefois. Celle qui est morte en quelque sorte. J’ai tellement changé que j’ai l’impression que celle que je fus autrefois n’appartenait qu’au final à mon imagination. Le chemin a été grand depuis mon départ. J’ai pris des décisions relativement importantes qui ont creusé un fossé immense avec mes parents. Le genre qui n’est plus possible de passer et je ne veux pas le traverser. J’ai assez fait d'efforts comme ça. J’ai tenté de les comprendre dans leur façon de faire, mais je suis lasse de toujours me demander pourquoi. Ce sont des interrogations qui n’auront plus de réponses désormais. Il va me falloir pallier aux dépenses que je pourrais avoir durant ma scolarité. J’ai pas mal d’économie, mais ces dernières finiront par fondre comme neige au soleil.

Il y a des moments où l’errance vous étouffe et on tente de chercher une porte de salut. La mienne est la salle de musique. Je ne connais pas encore l’école, mais j’ai réussi à trouver cette pièce sans aucune difficulté. J’ai entendu pas mal d'histoires sur le passif du manoir, mais je n’y ai prêté qu'une oreille à peine attentive. Chaque lieu à son passé et si je devais faire attention à toutes les histoires, je n’en finirais plus. À l’heure actuelle, seule la mienne compte. Je ne sais pas ce que sera mon avenir, mais j’ai envie de le découvrir sous une forme différente. La louve en moi grogne d’impatience de pouvoir avancer sur le chemin que nous empruntons désormais, elle et moi. Qui aurait pensé que je succomberais à l’appel de la lune ? Sans doute pas moi, mais j’aurais peut-être dû le faire plus tôt. Depuis que j’ai tué ce chasseur, je sens en moi un apaisement immense en tant que louve. Ma première transformation a été horriblement douloureuse, mais au final, quand tout s’est terminé, je n’y ai perçu que du soulagement et une grande liberté. Je me sens plus proche de James comme ça. Sans doute qu’autrefois, mon esprit s’est imaginé un peu trop toutes ces apparitions de mon frère pour soulager ce mal qui me rongeait intérieurement. Je cherchais un réconfort qui avait disparu, c’est souvent le cas quand un être qui vous est cher, est arraché à vous. J’ai perdu une moitié de mon être et qu’importe ce que je souhaiterais, je me sentirais toujours qu’à moitié existante.

Assise devant le piano, je caresse dans un premier temps les touches blanches et noires. Une dualité de couleurs, mais dont les sons savent s’harmoniser à la perfection quand on sait comment s’y prendre. Je suis seule, comme la plupart du temps d’ailleurs. J’aime ma solitude, cela me permet de me ressourcer en tentant de trouver des réponses. Lesquelles ? Cela dépend des questions que je me pose. Certaines sont si profondes que je n’ai qu’une moitié de réponses. Je ferme les yeux et j’imagine aisément Thélio ici, à jouer de ce piano. Qu’importe ce que je fais, je n’oublierais pas ce vampire. Notre histoire fut brève, bien plus que je ne l’aurais espéré. Mon cœur a été partagé avec Lisandre, il le sait parce qu’on ne guérit pas aussi aisément d’une histoire dont le départ fut subite et douloureux. Je n’arrive toujours pas à comprendre comme beaucoup de choses d’ailleurs dans ma vie. L’abandon est un mot récurrent dans ma vie. Je me mords la lèvre et voilà que mes doigts défilent comme si ces derniers n’obéissaient plus à aucune loi logique. Comme si mon cerveau ne les gouvernait plus. C’est la mélodie que Thélio m’a fait écouter qui ressort et qui a besoin d’exprimer la tornade d’émotions qui me brûlent de l’intérieur. Je souris quelque peu parce que toutes les émotions ne sont pas bonnes à jeter. Bien au contraire, dans la douleur, ces dernières m’apaisent. Elles me sont, en quelque sorte, salutaires et me prouvent que je suis bel et bien vivante. Plus rien n’a d’importance que ce piano et moi. De cette mélodie qui s’élève dans la pièce, mon cœur se sent doucement apaisé même si je sais que la sensation ne durera pas éternellement. Le deuil est constant et il le restera encore un moment. M’éloigner de Mystic Falls ne m’a pas plus aidé que je ne l’aurais cru au départ, mais cela m’a permit de parvenir à des petites victoires qui ne sont pas négligeables.

Tout à toujours une fin. La musique aussi. Si elle se meurt dans la pièce, celle-ci persiste dans ma tête tout comme les émotions que cela a fait naître en moi. Je me pensais seule, mais non. Quand on se laisse déborder par la passion, plus rien n’a d’importance ni d’existence. J’ai encore du mal avec les odeurs ici. Je me tourne doucement pour faire face à une femme. J’ai dû mal avec les visages, bien plus qu’auparavant. << Je me croyais seule. >> Et j’aurais préféré l’être, mais je n’ai pas envie de passer pour la louve asociale, ce qui serait, somme toute, assez contradictoire avec ma nature profonde. Quoi que des loups solitaires ça existe bien plus qu’on ne pourrait le croire. Personnellement, j’aime ma tranquillité et ne compter que des êtres qui ont de l’importance dans ma vie. En ce moment, ils sont peu nombreux. Je les compte sur les doigts d’une main. << Vous avez besoin de la salle de musique ? >>