Une rencontre de choc [Terminé]

La pleine lune gouvernait le ciel comme une fleur pouvait joncher le sol. Cela me faisait étrange de me promener au cœur de la forêt de Mystic Falls en louve. C’est comme si celle-ci s’était déjà adaptée à son nouvel environnement alors qu’au fond, nous connaissons ces lieux toutes les deux. Que ce soit la louve ou moi-même. Je retrouve les parfums perdus depuis longtemps et les endroits où j’allais déjà avec mon frère jumeau alors qu’il était parfaitement maître de son loup. On courait souvent lui et moi sans nous arrêter ou presque, parce qu’au bout d’un moment, je m’allongeais sur le sol épuisée, mais heureuse. James veillant à mes côtés, tout contre moi pour me rassurer et me protéger. Aujourd’hui, je n’ai plus que ces souvenirs en mémoire. Des souvenirs qui sont toujours aussi forts et frais que par le passé.

En ce moment même, j’image que nous sommes ensemble à explorer la forêt tous les deux. À présent que je suis louve, je me sens plus en accord avec moi-même, mais aussi avec ce qui m’entoure. Je ne pourrais plus me passer de cette impression de plénitude, de parfaite sérénité. Je ne pense pas que j’étais faite pour vivre en simple humain à contempler le monde que d’un œil humain. Le côté animal de mon être avait besoin de s’exprimer et de m’aider à panser toutes ces blessures qui m’ont été faites au cours de ces années.

Si je me retrouvais à cet endroit précis, c’est pas James et moi y venions très souvent. Qu’il soit en humain ou en loup, on s’arrêtait ici. Immanquablement, je repense à la fois où Thélio m’a retrouvé ici lorsque j’ai appris pour la mort de James. Rien que de penser au vampire me donne à la fois mal au cœur, mais les sentiments de la louve émet plus de la colère et du dégoût. Sans doute parce que nos natures se confrontent inexorablement. Assise, j’observe ce carré d’herbe plié. Là où mon frère avait l’habitude de se poser et je ne peux m’empêcher de sangloter. Ne pas vivre cette expérience avec lui me fait mal. Nate est présent, je le sais, mais ce n’est pas la même chose. Mon jumeau était important pour moi, c’est l’autre partie de mon être. Mon reflet dans le miroir. Aujourd’hui, je n’ai qu’une part brisé qui tente avec peine de se recoller doucement.

Le déroulement de cette soirée me paraissait parfait et paisible. Cependant, je n’ai pas senti cette odeur se rapprocher. Quand on est ancré dans ses propres souvenirs et dans le chagrin, plus rien n’a d’importance autour de soi. Ce qui est une erreur, je le sais bien. Tournant la tête, je vois un loup foncer sur moi et j’ai tout juste le temps de voir qu’il était aussi surpris que moi. Bien ce n’est pas une attaque, mais ça n’empêche pas la collision. Me voilà donc sonné et au sol. Je sens la migraine pour demain lorsque j’aurais repris forme humaine. Secouant la tête, je me redresse encore un peu sous le coup de la collision plutôt brutale entre nous.

Perdu dans le lointain passé de mes meilleurs souvenirs autant que dans les pires. Je mesure à quel point j’ai pu changer. À quel point, la douleur et la colère m’ont changé. J’aimerais dire que c’est une évolution, mais j’ai du mal à y croire totalement. Peut-être se laisse guider avec la colère ? J’ai des doutes à ce sujet. En fait, je suis épuisée parce que mon cerveau ne me laisse aucune seconde de repos. J’aimerais pouvoir vider mon esprit et ne le faire vivre que par les soucis que peuvent rencontrer les personnes de mon âge qui rencontrent des difficultés face à la reprise des études. Mais rien n’est normal chez moi. J’ai éveillé ma nature de louve qui agit positivement sur mon être tout entier. Il m’est facile de me lier à cette part de moi que j’ai toujours ressenti depuis mon enfance et qui aujourd’hui, me rapproche de mes frères. Mais plus encore de James qui a une part si importante dans ma vie. Moitié de mon être que je persiste à faire vivre pour ne pas me sentir à moitié vivante. Blessée dans l’âme et parfois de corps tant les émotions si fortes parviennent à se faire connaître quelques fois au quotidien. Les migraines et les nausées à l’appui. Je peine à vouloir me calmer, car les ressentis me prouvent que je suis encore vivante et que cela me rassure étrangement même si ça peut me rendre très malade.

Le choc causé par ma rencontre avec ce loup fait qu’on me reconnecte de façon brutale à une réalité à laquelle je souhaitais m’échapper. Le vertige me prend étant donné que le choc n’a pas été doux, je lève ma tête pour regarder celui qui m’a percuté. Son poil est sombre alors que le mien est aussi blanc que la neige. C’est étrange, mais en même temps pas du tout, je me souviens que James était un loup d’un marron très sombre presque noir. Notre apparence lupine exprimant notre différence comme l’aspect qu’a le yin et le yang. Deux opposés qui s’harmonisent à leur façon. Encore une fois, mon esprit divague tandis que j’analyse les mouvements de ce loup qui me tourne autour pour je ne sais quelle raison. En fait, j’ai l’impression d’être un morceau de viande que l’on jauge et je ne peux m’empêcher d’ancrer mon regard clair dans le sien pour lui signifier que sa curiosité même passive ne me plaît pas vraiment. La méfiance doit se lire facilement parce que j’ai décidé de mettre la prudence au premier pan de ma vie. D’un petit grognement, je lui fais comprendre d’arrêter son manège alors que je vais m’asseoir à la place exacte où mon frère se posait autrefois. Droite, fière et guerrière. Je suis prête à tout si l’on ose m’importuner avec violence. Cependant, je dois avouer que je ne ressens rien de tout cela de la part de ce loup. Je lève la tête vers le ciel émettant un couinement triste. Cette nuit est la première que je passe en tant que louve dans la forêt de Mystic Falls où il y a quelques années, je courais avec mon jumeau et Nate voir même notre père. C’est un temps passé, révolu et surtout épuisant pour le cœur et l’âme. Couper les ponts avec mes parents, c'est parfois plus difficile qu’on ne le pense. Mais rapidement, ma colère se fait plus vive et me redonne assez d’entêtement pour continuer ainsi. Je me pensais seule, mais je constate, en baissant à nouveau la tête, que ce loup n’a pas bougé, continuant de me fixer comme si j’étais une étrangeté. N’a-t-il jamais vu de loups se recueillir ? Ou bien n’a-t-il jamais vu de louve plus précisément.

L’humeur n’était pas au beau fixe, revenir à Mystic Falls faisait renaître tous ces souvenirs que j’ai pu vivre. Les plus heureux devenant les plus malheureux qui soient. J’avais ce besoin irrépressible de venir à cet endroit où je me perdais souvent avec mon jumeau. Là où ma mémoire s’entremêle avec celle de James et Thélio. Je n’arrive pas à oublier ceux qui ont marqué mon existence. Je pense à Lisandre qui se trouve je ne sais où, et j’espère heureux dans son voyage. Le nôtre fut beau et très agréable, mais nos natures différentes allaient nous pousser à nous confronter, tout du moins à mes débuts où tout n’est qu’un marasme d’émotions que l’on peine à gérer. Pourtant, je me sens tellement bien. Et ce bien-être profond ne fait pas bon ménage avec mon chagrin.

La présence de ce loup, je l’oubliais. C’est toujours comme ça quand je plonge dans mes sentiments, je fais abstraction de ce qui m’entoure et s’il avait été agressif, je me serais éloignée ou l’aurait confronté. Tout dépend de cette louve qui ne fait qu’un à présent avec moi. Je me sens si mal que j’ai l’impression que mon cœur se bat pour sortir de sa cage thoracique. Il frappa dans ma poitrine aussi violemment que des tambours de guerre.

L’astre d’argent semble apparaître sous un visage maternel comme si elle souhaitait apaiser ce mal qui me ronge et qui parfois prend des proportions à peine supportables pour le corps et le mental. Mais le propre de chacun, enfin de la plupart des gens, c’est de se battre. Mais c’est autant le propre d’une personne de baisser les bras. Reculer pour mieux avancer.

Lorsqu’il hurle, je le regarde un peu étonnée. Même si j’en comprends le sens, je ne peux pas y adhérer. Je n’y arrive pas, la douleur est immense. Je ne comprends pas et ni admettre encore que je peux être pleinement heureuse. Instinctivement, sans saisir le mouvement, je viens poser ma tête contre celle du loup à la recherche de soutien. Nate n’étant pas là, je ne peux pas me reposer sur lui. De plus, il a mieux à faire que de s’occuper continuellement de moi. Aliana a besoin de son aide plus que jamais. La présence de ce loup m’est étrangement rassurante, sans doute parce qu’il n’a aucune attention belliqueuse à mon encontre.

L'immense tristesse creusant un trou béant dans mon cœur semble s’accentuer sous ma forme lupine. Sans doute, est-ce le fait que tout semble plus puissant lorsque nous sommes en loup fixé sur l’émotion qui prédomine les autres. Quand je pense qu’en humaine, je semble mieux maîtriser la situation, il semble que ma louve me rappelle que tout ceci est une illusion et que j’ai encore du travail à faire sur moi. La route est longue, mais je ne perds pas espoir sur le fait de pouvoir réussir à vivre avec la mort de mon jumeau. Cependant, c’est vrai, je l’avoue, je me serais sentie plus complète avec James à mes côtés. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi j’accepte la proximité de ce loup. Peut-être le besoin de ne pas être seule pour affronter ce nouvel endroit. Pas si nouveau que ça quand on sait que j’y ai couru en long, en large et en travers avec mes frères. Mais en tant que louve, je découvre les odeurs, la vue et les impressions sous un angle nouveau déroutant, mais tellement électrisant également.

Le vent qui caresse mon poil me fait frémir. C’est comme si la nature elle-même me rassurait de ce moment à affronter. Je ne voulais pas importuner Nate sachant qu’il avait déjà beaucoup de préoccupations avec Aliana et son tortionnaire de retour dans les environs. Est-ce que mon frère a raison ? Dois-je rester à l’écart en sachant comme est mon humeur sous ma forme lupine ? Cependant, pour ma défense, je dois avouer que revenir à Mystic Falls ne me laisse pas indifférente non plus. Tous les souvenirs se mélangent et pas uniquement avec mon jumeau, mais également avec mes parents. Si je peux encore les appeler ainsi. Depuis mon retour, j’ai continué à faire acte de silence. Je n’ai pas prévenu moi-même de mon départ et de mon retour encore moins. Le connaissant, Nate a sans doute donné de mes nouvelles. Bien qu’il aimerait que je reparle à ces dernières, leur abandon me reste toujours en travers de la gorge. Je ne peux pas admettre qu’on puisse mettre une enfant de côté sous prétexte que c’est trop dur de la voir sans son jumeau et plus encore alors que j’avais besoin de leur soutien après avoir tenté de mettre un terme à ma propre vie.

L’odeur du loup m’apaise étrangement alors que je viens frotter ma tête contre la sienne. Ce sont pas des choses que je fais habituellement, je suis beaucoup plus farouche que cela. Mais baisser les barrières un instant n’est pas un mal en soit. L’instant me paraît presque étrange me poussant à croire à une certaine normalité. Le soutien que je ressens de sa part alors qu’il ne me connaît même pas, me touche beaucoup. Si j’avais été humaine, j’aurais pu esquisser un sourire. Là, je ne me contente que de montrer ma reconnaissance. Je le regarde se reculer penchant la tête sur le côté, les oreilles dressées pour lui offrir toute mon attention sachant qu’il voulait que je le suive.

Son mouvement me permet plus encore de saisir son envie de gambader dans la forêt. Chose que je pouvais comprendre parce que j’en avais besoin. Mes pattes me démangeaient atrocement de cette envie de courir pour ne s’arrêter que lorsque mes poumons seraient en feu. Cependant, je le pousse à me suivre vers un endroit qui sera beaucoup plus plaisant autant visuellement que auditivement. Difficilement atteignable pour un humain et j’en sais quelque chose, en animal cela nous sera plus simple d’y accéder. Je me mets à marcher dans un premier temps avant de m’arrêter et de le regarder poussant un petit grognement pour l’inciter à venir et je reprends ma roue jusqu’à courir à travers les arbres entamant un petit jeu de course avec le loup. C’est revigorant de courir comme ça, librement et sans entraves. Maintenant, que j’ai réveillé mes gènes de loup, je me vois mal enfermé constamment entre quatre murs. Tout du moins, plus longtemps que ce dont j’avais l’habitude à l’époque.

Au bout d’un moment, on atteint finalement un grand espace verdoyant où trônait tranquillement un ruisseau bien agréable et peu profond parsemé de petites lucioles. L’endroit y était paisible et prompt à se laisser dominer par un sentiment de bien-être et de béatitude. Je m’avance pour aller boire un peu d’eau, cette course m’ayant donné soif. Je reste cependant en alerte parce que je dois tout de même retrouver l’école avant que le jour ne vienne poindre le bout de son nez.

D’une part, les émotions humaines qui tiraillent et de l’autre celui de la louve qui cherche à se délivrer de tout cela. Ce sont deux parties de moi qui se livrent une intense bataille. On ne sait pas comment trouver cet équilibre qui pourrait me permettre de supporter tout cela. Seule, sans doute que j’aurais passé mon temps à me morfondre sur les pertes subies en l’espace de si peu de temps. Mais quand quelqu’un arrive à rentrer dans votre cocon, on se laisse rapidement guider vers cette part de moi qui est née depuis peu de temps. Cette louve qui hurle au fond de moi au point de brûler mes chairs d’un feu libérateur.

À vagabonder dans cette forêt, c’est comme s’unir à des instincts, qui jusque-là, me dépassaient complètement. Autrefois, je ne pouvais même pas imaginer à quel point on se sent libéré de tout à communier ainsi avec la nature qui m’entoure. Je pensais pouvoir l’imaginer, mais je me rends compte que j’étais bien loin de la vérité. C’est fou comme on peut rapidement se faire à notre instinct animal. Si le gène était autrefois en sommeil à présent qu’il est libéré et bien réveillé, je peux me laisser aller sans faire attention aux contraintes humaines qui nous bloquent même inconsciemment. J’ai le droit de faire et d’être qui je veux.

Bien sûr, la douleur est toujours en moi, je ne peux pas m’en séparer parce que même ma louve sent qu’il lui manque quelque chose. Ce jumeau à jamais disparu et que le temps ne pourra pas apaiser les émotions qui peuvent traverser mon cœur et le sien.

Arrivée à mon petit paradis, je me laisse aller à boire quelques gorgées de cette eau pure et fraîche. Les lieux sont parfaits pour se détendre, pour méditer, mais surtout pour tenter de se reconnecter à cette paix que je cherche tant depuis très longtemps à présent. Je sens la présence de ce loup qui vient se frôler à moi. Il semble me sortir de ma léthargie. Sans doute a-t-il ressenti que je retombais dans mes travers. Si je pouvais sourire, je le ferais, mais je ne fais que le regarder avant d’être surprise par un autre mouvement qui me fait tomber à l’eau.

Il se veut joueur, hurlant son envie de s’amuser un peu. Est-ce sa manière de me changer les idées encore une fois ? Sortant de l’eau, je secoue mon poil le mouillant quelque peu par la même occasion avant de fondre vers lui pour jouer. Cela ne pouvait qu’être bénéfique au cœur et à l’âme de se laisser aller, ne serait-ce que pour cette nuit. Peut-être serais-je libérée d’une part de ma tristesse ou tout du moins, je peux y croire sans avoir à me poser encore mille et unes questions sur ce point. Je me laisse aller à mes plus bas instincts, arrivant, je ne sais comment à le faire tomber au sol. Je le domine de toute ma taille et je le regarde penchant la tête sur le côté avant d’aller le mordiller un peu. On s’amuse comme deux louveteaux qui ne connaissent pas encore la difficulté d’être des loups adultes. Loin du rôle qu’on doit sans cesse tenir. Loin de devoir toujours rester sur leur garde ne se préoccupant que du jeu et de ces bêtises que peuvent faire des bébés loups. La nuit est encore jeune et nous avons le temps. Juste à nous préoccuper de nous et de rien d’autre.

Devenir louve quand la lune se fait reine, c’est oublier toutes les limites de l’aspect humain. Plus rien n’a d’importance que ce sentiment de liberté qui se fait puissant et délicieusement oppressant. La transformation reste rude, violente et douloureuse, mais la finalité reste belle et libératrice. J’admets qu’une part humaine continue de s’exprimer comme la tristesse, mais aucun animal ne reste de marbre face à ces propres émotions. Et puis totalement les annihiler, c’est oublier une grande part de qui nous sommes et je refuse de me laisser aller de la sorte.

Cependant, durant cette nuit, je me suis laissée aller à un échange auquel je ne m’attendais pas. Je ne pensais pas que la passion s’y prendrait comme si ma louve avait pris le dessus durant ce temps. Comme si j’étais à moitié présente. Moitié consciente. On s’est laissé prendre au jeu au point d’en oublier le temps et le lieu où nous nous trouvions. Endroit quasiment inaccessible pour le commun des mortels.

L’épuisement se faisant sentir, je me suis endormie au bout d’un moment, ce n’est que la douleur qui m’a réveillé. Horrible et laissant des perles de sueurs sur ma peau nue. C’est à peine si je me suis rendue compte que le loup à mes côtés venait de subir le même changement. En fait, il n’y a plus que votre propre douleur qui a de l’importance. Les changements du corps recouvrant les bruits et les mouvements environnant. On ne perçoit plus rien d'autre que les os qui se brisent et se reforment pour redevenir celui d’un squelette humain. C’est terrifiant, cette douleur, mais la rejeter ne rendrait l’instant que plus difficile encore. Sonnée par ce changement, comme à chaque fois, je m’évanouis, me déconnectant quelque peu de la réalité, mais c’est le contact d’un corps qui me réveille.

Doucement, je me redresse recouvrant ma poitrine de mon bras avant de faire face à un homme. Nos loups se sont trouvés pour communier et je sentais dans nos esprits d’humains, une réticence. Un éloignement certain. Après tout, comment ne pas l’être ? Être un loup avide de liberté où la limite n’existe pas ou peu, c’est comme pour un humain buvant de l’alcool et qui se désinhibe au fur et à mesure des gorgées prises. Chaque souffle prit en tant que loup, nous rapproche de cet instinct qui nous pousse à valoriser notre liberté et nos envies.

C’est un peu en chien de faïence qu’on se regarde lui et moi. Le soleil est là, perçant à la cime des arbres. L’endroit semble différent, aux antipodes de ce que nous avons pu connaître cette nuit. J’ai l’impression de reconnaître celui qui me fait face, mais je n’en suis pas très sûre. L’ai-je vu à l’école Salvatore ? Cela fait peu de temps que je m’y trouve et les visages ne sont pas tous ancrés dans ma mémoire. Je peine à esquisser un mouvement tout comme je crains de prononcer un mot. Je ne suis totalement perdue, encore perdue dans la brume de ce réveil abrupt et douloureux. Dans son regard, je ne lis plus rien de ce qui ‘il y a pu avoir cette nuit lorsqu’il était encore un loup. Le pire dans cette gêne, c’est qu’on allait devoir trouver un moyen de partir d’ici. Je dois me remémorer les lieux, me rappeler le chemin que j’empruntais avec mon frère lorsqu’il m’amenait ici. << Est-ce qu’on a… euh… >> Ma voix est faible d’avoir trop grogné et hurlé cette nuit. Et la seule question qui me vient, c’est ce que l’on a pu faire. Je ressens encore son corps contre le mien et son envie de revenir vers moi plus tôt alors qu’il avait repris son aspect humain.

Si la veille était très claire pour ma louve. Le matin balaie toutes mes certitudes. C’était très flou dans ma tête. Je ne peux qu'interpréter sans conviction ce que lui et moi avons pu faire hier. Tout ceci m’était nouveau, j’avais toujours fait en sorte d’être seule, sans personne autour de moi que je pourrais pourchasser et blesser. Mais j’ignorais qu’en tant que louve tout pouvait être hors de contrôle lorsque l’on se retrouve avec un mâle de notre race. Est-ce récurrent ou bien un moment de pure évasion ? Il est possible que lorsqu’on se laisse aller à notre côté lupin quand la lune se fait présente, on se laisse aller au-delà des limites que la conscience humaine peut nous imposer en temps normal. Le côté bestial nous libère et notre esprit embrouillé nous donne la possibilité de passer à tout autre chose. Seulement me voilà face à un homme que je ne connais pas, avec des gènes lupins comme moi et qui me paraît si lointain du loup amical et agréable que j’ai rencontré hier. Mon esprit semble vouloir s’adapter et ne se souvenir que des situations que nous avons vécu que je peux consciemment accepter. Mais cette demi-vérité me laisse encore ce goût amer en bouche.

- On est monté jusqu’ici hier soir.

Une réponse froide, mais qui ne répond cependant pas à ma question. Je me sens comme piqué au vif. << Cela me semble évident non. >> N’ai-je pu m’empêcher de répondre. Je l’observe avant de regarder autour de moi reconnaissant quelque peu le lieu où l’on se trouve. L’éveil se faisant à peine, je peine encore à voir quel chemin nous pourrions emprunter pour retourner d’où nous venons. Et pour ma part, ce sera le chemin de l’école Salvatore.

- Où est ce qu’on est ?

Ce lieu n’a jamais eu de nom propre dans mes souvenirs. Ce dont je me souviens vaguement, c’est que j’y venais avec James. Je pense me souvenir d’un vieux sentier, mais tout est encore si flou dans ma tête. La nausée me prend quelque peu comme à chaque lendemain de pleine lune. S’il n’y avait que ça d’ailleurs. Mon corps entier ne semble toujours pas s’être habitué à la douleur de la transformation et me le fait bien sentir d’ailleurs. Mes muscles me font mal et je suis tellement fatiguée aussi. << Au beau milieu de la forêt. >> Réponse évidente non ? Et encore, je réponds un peu plus justement que lui un peu plus tôt.

Mon regard vient se poser sur lui alors qu’il vient à effleurer la peau de mon avant-bras. Pourquoi vouloir ce rapprochement soudainement ? Mon esprit se bat entre reculer et ne pas bouger. Je suis trop épuisée pour réagir, donc je décide de rester sur place.

- On n’aurait jamais dû s’endormir

<< Désolé, mais je ne reste pas toujours rationnelle quand je deviens louve. >> N’est-ce pas là, le propre de notre nature ? Être libéré de toute barrière ? << Bon ok, laisse-moi rassembler mes souvenirs, tu veux. >> Regardant autour de moi, je finis par me lever, au diable la décence de toute façon, je n’ai rien pour cacher mon corps alors autant mieux faire avec. J’essaie de me souvenir et pour ça, j’ai besoin de regarder m’approchant parfois d’un endroit puis d’un autre. << On a dû venir par-là en tant que loups… Mais si je me souviens bien, il y a un vieux sentier quelque part que j’empruntais avec mon frère… Mais je ne sais plus très bien où il se trouve. >> Et puis je suis tellement fatiguée encore. Je me pose sur le sol soupirant longuement. << Arrête de me regarder comme ça, je n’ai pas encore ma dose de café alors mes neurones ne sont pas bien connectés encore. >> Je soupire. Autant, il a été agréable hier soir que maintenant, il est exaspérant dans son attitude.

Je ne pouvais pas rester une minute de plus dans cet endroit. D’une part, parce que je sais que Nate doit me chercher en s’inquiétant comme un fou et d’une autre parce que l’endroit me brise plus encore. Je me souviens maintenant, avec un peu plus de clarté, que James et moi, nous venions souvent ici lorsqu’il était un loup. Un loup capable de se maîtriser sans peine et qui me reconnaissait grâce à son odeur qui se trouvait sur moi. La sien et celle de Nate. Une façon de marquer les membres de sa meute sans y appartenir totalement. Juste assez pour ne pas être en danger. Je me souviens que je venais apporter des vêtements quand la lune laissait place au soleil. Mon frère m’avait montré le vieux sentier oublié par les hommes, c’est sans doute pour ça qu’il venait se perdre dans cet environnement en tant que loup. Ce besoin d’être détaché de toute condition humaine pour ne faire qu’un avec son côté lupin.

- Hé ! Attends-moi.

Non, je n’ai pas envie de l’attendre, seulement d’aller plus vite. Me doucher et me changer. Mais ça, je n’avais pas besoin de le dire.

- Que je te regarde comment ? Comme si tu étais une inconnue totalement nue ?

Je me stoppe et le regarde. Peut-être plus méchamment, que je ne le voudrais parce que je n’avais même plus la réponse à cette question. Je me sentais tellement perdu dans ce marasme d’émotions qui me tiraillait de l’intérieur.

- Ou comme si on avait partagé quelque chose hier soir qui semble avoir disparu ce matin ?

<< Oh mais merde, j’en sais rien moi ! >> Grognais-je alors que je sens soudainement mes jambes se dérober sous moi. Signe que mon corps ne s’est pas encore remis de la transformation, que j’avais besoin encore d’un temps d’adaptation. Après tout, cela fait depuis peu de temps que j’ai activé mon gène. Ce dernier avait encore besoin de faire son cheminement, de trouver son équilibre entre ma part humaine et ma part louve. Même si je l’ai accepté pleinement et rapidement. Néanmoins, on ne refait pas le caractère impulsif propre aux nôtres. Et croyez-moi, même en humain les Peterson ont un sacré caractère, si ce n’est pas dire un caractère de merde.

À peine m’aide-t-il à me lever que je reprends mes distances. Je ne suis plus la Deana d’autrefois, celle qui se laisse attendrir. J’en ai fini avec ça. À force de se moquer de vous et d’abuser de votre gentillesse, on finit par moduler sa personnalité pour se protéger. Et là, aujourd’hui, après cette nuit de pleine lune, j’en ai bien besoin.

- J’ai pas de café, mais la rivière n’est pas loin, tu pourrais t’hydrater un peu.

Sans un mot, je me dirige vers la rivière. Malgré le flou, il me semble que je me suis laissée à jouer ici avec lui alors que nous n’étions que des loups. Agenouillée, je viens à prendre de l’eau dans mes paumes pour mouiller un peu mon visage. La fraîcheur est agréable sur ma peau et cela descend la température de mon corps. Je soupire longuement tout en me demandant si mon retour dans cette ville était au final une excellente idée. C’est ce que je me pose comme question alors que je bois un peu avant de me poser tranquillement.

Je suis nue, au milieu de la forêt avec un homme pas tant inconnu que ça. << Je fais comment maintenant pour retourner à l’école Salvatore. >> Là est ma question, je n’ai pas envie de montrer mon corps à une personne de plus. Non, c’est trop pour moi. << On devrait attendre la nuit non ? Ou bien au moins retrouver nos vêtements. Il faut que je me rappelle où j’ai mis les miens. >>

Tout est encore embrouillé dans ma tête, je peine à me souvenir en détail de ce qu’il s’est produit. Jusqu’à présent, je n’ai eu l’habitude qu’à me transformer seule. Sans personne. Lisandre a été là, bien sûr, mais de loin, veillant sur mon bien-être tout au long de la nuit malgré le danger que cela pouvait comporter pour lui. Après tout, l’instinct d’une louve face à un vampire est clair. Se défendre par tous les moyens et une morsure de loup-garou est douloureusement fatal pour un vampire. Pour moi, il a pris tous les risques pour me protéger. Une preuve que notre histoire, même si éphémère, n’était pas feint, mais vraie. Cela a été une parenthèse de douceur et de tendresse dans ma vie même si Nate a été réticent. Mais lui, ne pouvait pas me suivre quand j’ai décidé de plier bagage pour partir de cette maudite ville contrairement à Lisandre qui n’a pas hésité une seule seconde. Je repense encore à ces moments partagés ensemble et ce cocon qu’on a formé a su me soigner en douceur de toutes les douleurs que j’ai pu avoir ici. Je pensais revenir forte et inébranlable, mais les choses sont finalement bien plus compliquées qu’il n’y paraît. Les échos des souvenirs sont assourdissants et présents à chaque pas que je peux faire. Le passé me murmurant en boucle que le mystère entourant la mort de mon jumeau est encore vif autant que ma rage envers mes parents. Que dois-je faire ? Comment dois-je réagir ? Je sais que Nate voudrait que l’on soit réuni à nouveau, mais ce n’est plus possible. Le mal est fait et encore douloureux pour moi. Comme mon père, ma rancune est grande. Alors, non, je ne peux pas penser à eux sans éprouver de la colère, du dégoût et de la déception.

- Tu te sens mieux ?

<< J’en sais rien. >> Affirmais-je dans un soupir alors que je sentais la fraîcheur de l’eau juste à côté de moi. Ce ruisseau qui coule et s’écoule en douceur dans une mélodie délicate et agréable à mon ouïe. C’est ici que je me perdais si souvent avec mon frère lorsqu’il maîtrisait parfaitement sa part humaine et loup. Tout un tas de pensées me hantent l’esprit, c’est un chaos sans fin auquel je n’arrive pas à mettre d’ordre. Je tente de mettre un ordre logique à ce que je dois faire. Et ma priorité, c’est de pouvoir me couvrir décemment.

- La pudeur est quelque chose de très humain.

Levant les yeux au ciel, j’ai l’impression qu’il me parle sans comprendre cet état d’esprit pourtant logique non ?

- Je ne sais pas si je suis bon juge en la matière. Mais je trouve que tu n’as rien à enviée aux autres. Je veux dire, il n’y a rien à cacher dont tu devrais avoir honte.

Le compliment me touche, bien qu’il me surprenne et me gêne un peu. Lorsqu’il passe derrière moi, je suis un peu plus à mon aise qu’il ne me voit plus que de dos. Mais j’avoue que je me sens perdue concernant tout ça. Ce qui est normal après un soir de pleine lune, surtout lorsque c’est encore récent pour moi. << Merci... C'est gentil... Un peu gênant au vu des circonstances, mais ça me touche. >>

- J’ai passé les trois quarts de ma vie dans la peau d’un loup. Je ne suis humain à plein temps que depuis quelques semaines.

L’eau que je sens sur ma peau me fait frémir, mais c’est loin d’être désagréable. Je me tourne à demi vers lui et l’observe. << Comment ça ? >> Est-il un vrai loup ou bien une sorte de créature qui peut devenir un loup ? Ou bien un loup devenu humain par un sort qui a raté ? Tout se mélange en moi et je n’arrive pas à saisir l’étendue de cette déclaration. Je vois son sourire et son air rêveur. Et là je me demande à quoi peut-il bien penser. À notre nuit passé ensemble ? << C’est la première fois que je passe une nuit de transformation avec un autre loup… J’ai toujours été seule… Enfin pas vraiment, mais celui qui veillait sur moi était un vampire et tu comprendras qu’il prenait ces distances et pas mal de précautions. >> Je pose mon regard sur le sien. << Tu es le premier loup avec qui je passe toute une nuit et ça me perturbe assez. >> Je joue avec une mèche de mes cheveux, gênée. << Mais pourquoi tu dis que tu n’es humain à plein temps que depuis quelques semaines, je ne comprends pas. >>

Deana est encore perdue dans toutes les émotions qui pouvaient la traverser. Il faut dire que la louve se fait encore un peu sentir étant donné que la pleine ne vient que de s’évaporer. Son influence est toujours présente et les murmures de sa louve sont encore bien perceptibles. On s’y perd facilement entre l’humaine et la louve. Ce que l’on veut et que l’on redoute de faire. Après tout, le côté humain est encore pris dans les limites. Les chaînes la retiennent à nouveau, et ce, de plus en plus que le soleil poursuivait sa course et continuait de briller comme pour dire que la liberté était terminée. Cela ne pouvait que déboussoler surtout lorsque l’on est une jeune louve à peine éveillée. Même consciente des particularités de ses gènes, on ne pouvait pas se préparer justement au moment où la pleine lune viendra à dicter sa loi.

La compagnie de cet autre loup la faisait immanquablement revenir à ce qu’il s’était produit la nuit dernière. C’était à la fois flou et clair. Alors difficile de savoir quelle conduite adopter pour le coup. Gêne ou bien être parfaitement à son aise. De plus redevenir humaine avait quelque peu affaibli Deana. La jeune femme tentait de reprendre du poil de la bête, si l’on pouvait s’exprimer ainsi, mais c’était compliqué. Trop pour elle, qui pour la première fois, venait de partager sa nuit en louve avec un autre congénère.

- ça serait long à expliquer. Mais depuis plus de dix années, j'ai été un loup, chaque jour, pour me transformer une seule fois en humain à la pleine lune.

<< Oh… >> C’était assez étonnant d’apprendre ça. Deana comprenait de mieux en mieux pourquoi ce dernier était plus à son aise dans la peau d’un loup que d’un être humain. Si sa libération date de peu, elle comprend quelque peu la raison de son comportement actuel.

- Et bien c'est la première fois aussi pour moi. Le mois dernier, et chaque plein lune d'avant, quand j'étais loup, tu étais humaine. Et quand j'étais humain, toi louve, on aurait jamais pu se croiser.

<< Disons que cela fait peu de temps que je suis une louve. >> Même si elle savait très bien ce qu’il en était pour les nuits de pleine lune avec Nate et James. << Je n’étais pas prête à me mélanger à d’autres loups. >> Même si Deana avait intégré la meute de l’école, c’était uniquement par ce que Nate était alpha ni plus ni moins. Dans le cas contraire, elle serait restée dans son coin à subir les jours les uns après les autres.

- Hier, tu étais malicieuse et joueuse.

Ancrant son regard dans celui de son congénère, la jeune femme sourit quelque peu lorsqu’il mentionne son éta d’hier. << Oui… Ma louve est joueuse, c’est clair… Parfois même provocatrice. Elle ne se laisse pas faire. >> L’esprit un peu ailleurs, Deana ne voit pas l’homme se rapprocher. Cependant, elle sent la pression de ces mains sur elle qui la pousse à se coucher frissonnant rapidement sous le contact de l’eau contre sa peau. Levant la tête, elle tombe sur le visage de ce dernier juste au-dessus d’elle. Deana pouvait sentir son souffle contre son visage. Lui, ne semblait pas totalement libéré de son loup et ça semblait fortement lui convenir.

- Je ne regrette rien, même si je ne peux pas expliquer pourquoi ce matin je n'éprouve plus cette sensation enivrante.

<< Après avoir passé plus de 10 ans en tant que loup, tu es plus attiré par moi en louve que moi en humaine… Je suis certainement moi à ton goût non ? >> Osant lever la main, Deana la pose sur la nuque de celui qui hier encore était un loup tout comme elle. << Ma louve n’est jamais très loin… Et il y a des moments où je l’écoute et je me laisse aller à jouer et à séduire comme elle, elle voudrait le faire si tous les jours était un moment de pleine lune… Comme maintenant… >> Elle finit par se redresser se rapprochant un peu plus de lui. << Et toi ? Tu voudrais quoi ? >> Proche de lui, Deana ne faisait qu'effleurer ces lèvres des siennes sans qu'une pression de sa bouche soit faite. Une simple caresse, ni plus ni moins.